Sécurité Sociale pour Personnel Diplomatique en Belgique

Les règles déterminant le régime de sécurité sociale applicable au personnel des missions diplomatiques en Belgique diffèrent selon la catégorie de travailleurs. Des règles spécifiques sont établies selon que le personnel est recruté “localement” par la mission diplomatique ou “détaché” par le ministère des Affaires étrangères de l’État accréditant au service de sa mission diplomatique en Belgique. Cette dernière catégorie est exemptée de l’obligation d’adhérer au régime de sécurité sociale belge, sous réserve de certaines conditions.

Principe

Conformément à l’article 3 de la loi du 27 juin 1969, la législation belge sur la sécurité sociale s’applique à tout travailleur qui :

  1. réside et exerce son activité professionnelle en Belgique ; et
  2. est employé par un employeur établi en Belgique ou attaché à un siège d’exploitation établi en Belgique.

Cette règle s’applique sans égard à la nationalité du travailleur.

Régime belge de sécurité sociale pour le personnel recruté “localement”

Personnel concerné

Est considéré comme recruté “localement” tout travailleur inscrite au registre de population de sa commune et employé en Belgique au service d’un employeur établi en Belgique ou rattachée à un établissement belge.

Application du régime belge

L’Office National de Sécurité Sociale assimile les représentations d’États étrangers en Belgique, y compris les missions diplomatiques et consulaires, à des employeurs belges. Ainsi, le personnel recruté “localement” est soumis au régime de sécurité sociale belge.

Dispense du régime belge

Le régime belge de sécurité sociale s’applique en l’absence de normes issues d’accords internationaux ou de conventions bilatérales prévoyant un régime différent. Il est donc crucial de vérifier si de telles dispositions existent avant de procéder à un recrutement.

Exonération pour le personnel “détaché”

Un membre du personnel d’une mission diplomatique est qualifié de « détaché » lorsqu’il a été détaché par le ministère des affaires étrangères de l’État d’envoi au service de sa mission diplomatique auprès de la Belgique.

Un membre du personnel “détaché” pour travailler dans une mission diplomatique en Belgique, sans être belge ni résident permanent, est exempté du régime de sécurité sociale belge (articles 33 §1 et 37 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961), à condition de :

  • Agents diplomatiques : Ils sont toujours exemptés, sauf s’ils emploient des domestiques privés belges ou résidents permanents non affiliés à une sécurité sociale étrangère. Ils peuvent cependant choisir volontairement le régime belge.
  • Personnel administratif, technique et de service : Ils bénéficient de la même exemption, à condition de ne pas être belges ou résidents permanents.

Assujettissement volontaire

L’exemption rappelée ci-dessus, telle que prévue aux paragraphes 1 de l’article 33 de la Convention de Vienne, n’exclut pas la participation volontaire au régime de sécurité sociale de l’État accréditaire pour autant qu’elle est admise par cet État (article 33 §4 de la Convention de Vienne). En l’occurrence, la Belgique accepte l’assujettissement volontaire au régime de sécurité sociale belge.

En pratique, un numéro d’identification unique d’une personne physique auprès de la sécurité sociale belge (NISS) est requis pour permettre l’assujettissement de cette personne au régime belge de sécurité sociale.

Pour les non-résidents belges (en l’occurrence les travailleurs “détaché” sous séjour spécial de la Direction du Protocole du SPF Affaires étrangères), il s’agit de leur numéro indiqué dans le registre BIS.

Un employeur a donc besoin du NISS des travailleurs à déclarer – sur base volontaire ou obligatoire – et notamment pour effectuer la déclaration Immédiate DIMONA, message électronique par lequel l’employeur communique toute entrée et sortie de service d’un travailleur à l’ONSS (obligatoire pour tous les employeurs des secteurs public et privé).

Ce numéro pourra être créé via la plateforme en ligne « BelgianID Pro ».

Enfin, il n’est pas sans intérêt de relever que la Direction du Protocole n’accepte pas de détachement sous séjour spécial au-delà d’une période de 10 ans.

Conclusion et Recommandation

Un travailleur sera soumis au régime de sécurité sociale belge sauf s’il relève d’un autre régime par accord international ou convention bilatérale, ou s’il est exempté selon les règles énoncées. En pratique, les parties peuvent également envisager un assujettissement volontaire.

Il est impératif d’analyser chaque situation individuelle pour déterminer le régime applicable.

Bien connaitre le régime de sécurité sociale applicable avant d’engager ou de détacher du personnel permet de maitriser le risque d’une régularisation qui pourrait s’avérer très lourde en terme financier pour le budget de la mission diplomatique. Il est recommandé de consulter un expert en droit diplomatique pour une évaluation conforme des règles spécifiques. Pensez également à contacter la Commission des Bons Offices.

Les ambassades sont soumises à la loi sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires

La loi du 15 janvier 2018 portant des dispositions diverses en matière d’emploi, est entrée en vigueur le 15 février 2018 et soumet, désormais, en vertu de son article 2 § 3, point 1/1, les représentations d’États étrangers en Belgique à la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Cela signifie donc que ces représentations relèvent à partir du 15 février 2018 d’une ou plusieurs commissions paritaires et qu’elles sont par conséquent tenues de respecter les différentes conventions collectives de travail élaborées tant au niveau national (par le Conseil national du travail) qu’au niveau sectoriel (par les commissions paritaires dont elles relèvent).

Pour rappel, les conventions collectives du travail ont pour objet :

  • d’une part, de déterminer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs ;
  • d’autre part, de fixer les éventuelles cotisations de l’employeur à un Fonds de sécurité d’existence.

Les conventions collectives de travail touchent à l’ordre public et la violation d’une convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal est sanctionnée pénalement.

I. Employeurs visés

  • Les missions diplomatiques et les postes consulaires ;
  • Les missions auprès des organisations internationales ayant leur siège en Belgique (par exemple l’Union Européenne ou l’OTAN) ;
  • Les agents diplomatiques et fonctionnaires consulaires étrangers personnes physiques en tant qu’ils exercent une autorité patronale sur un travailleur visé par la nouvelle loi.

II. Travailleurs visés

Uniquement le personnel qui ne bénéficie pas d’un statut privilégié en vertu des Conventions de Vienne du 18 avril 1961 (relations diplomatiques) et du 24 avril 1963 (relations consulaires), ou d’un autre instrument de droit international directement applicable.

III. Commissions paritaires

En l’absence de commission paritaire spécifique aux Ambassades, la commission paritaire auxiliaire pour le secteur non-marchand n°337 sera la plupart du temps applicable par défaut.

Toutefois, contrairement au principe suivant lequel un employeur relève normalement d’une seule commission paritaire selon son activité principale (c’est-à-dire l’activité à laquelle est consacrée le plus d’heures de travail ou la plus forte répartition du personnel), la commission paritaire 337 n’est pas compétente pour les activités accessoires à l’activité principale relevant de la commission 337, lesquelles seront donc soumises aux commissions paritaires propres à ces activités.

Pour le secteur des ambassades, il pourra s’agir de :

  • La commission paritaire n°145 pour les entreprises horticoles qui est notamment applicable aux jardiniers
  • La commission paritaire n°323 qui est notamment applicable aux travailleurs domestiques (mais uniquement si les employeurs sont des personnes physiques – les travailleurs domestiques engagés par les Ambassades demeurant soumis à la commission paritaire 337)

La perception correcte des cotisations sociales ne peut être assurée que si l’Office National de Sécurité Sociale (l’ONSS) attribue l’indice adapté à l’activité des travailleurs.

Cela peut avoir des conséquences importantes notamment pour ce qui a trait au paiement des cotisations au Fonds de Sécurité d’Existence (cf ci-dessous pour la commission paritaire 145 – jardiniers).

Par défaut, l’ONSS attribue l’indice 032 qui correspond à une ambassade qui emploie uniquement du personnel relevant de la commission paritaire 337.

IV. Application des conventions collectives de travail

Sous réserve des dispositions particulières prévues par les conventions collectives adoptées par les commissions paritaires sectorielles, les conventions collectives de travail élaborées au sein du Conseil National du Travail sont désormais applicables aux Ambassades, parmi lesquelles celles relatives:

  • au revenu minimum mensuel moyen garanti (RMMMG) et l’indexation du salaire (augmentation du salaire à chaque fois que l’indice des prix à la consommation est dépassé) (CCT 43 et 50) ;
  • à la motivation du licenciement (CCT 109) ;
  • au reclassement professionnel (CCT 82) ;
  • à l’aménagement de fin de carrière (CCT 103) ;
  • à l’intervention de l’employeur dans les frais de transport (CCT 19 octies) ;

Il en va de même pour les conventions collectives de travail adoptées au sein des commissions paritaires sectorielles (principalement celles évoquées ci-dessus : 337, 145 et 323), soit notamment:

  • les classifications professionnelles et les barèmes de rémunération spécifiques (323 – 145) ;
  • l’intervention de l’employeur dans les frais de transport (323-145) ;
  • la prime de fin d’année (323) ;
  • la prime d’ancienneté (145) ;
  • la fourniture et l’entretien des vêtements de travail (145) ;
  • les éco-chèques (145) ;
  • le fonds de sécurité d’existence (145) ;
  • la prime de fidélité (145) ;
  • la prime forfaitaire pour travailleurs réguliers (145) ;
  • Fonds de Sécurité d’Existence (« Fonds social pour l’implantation et l’entretien de parcs et jardins » impliquant le paiement de cotisations nécessaires à son fonctionnement) (145) ;
  • la prime forfaitaire pour les travailleurs occupés depuis moins de 30 jours (145) ;

IV. Durée du travail dans les ambassades : question toujours controversée?

Même si les Ambassades sont désormais visées par la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, le Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale estime toujours que la durée du travail dans les Ambassades est celle applicable au secteur public, soit celle régie par la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public.

Cette position a pourtant été remise en cause par la Cour du Travail de Bruxelles, laquelle a appliqué, dans un arrêt du 7 octobre 2015, la loi du 16 mars 1971 sur le Travail encadrant la durée du travail dans le secteur privé.

L’interruption de la prescription par l’envoi d’une mise en demeure

Est-ce que l’envoi d’une simple lettre de mise en demeure peut avoir pour effet d’interrompre le délai dans lequel un créancier est censé agir en justice pour récupérer son dû ?

Décryptage à partir d’une décision récente du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 29 novembre 2022 (inédit RG 22/693/A).

  • Les faits

Un travailleur, engagé par un État étranger pour les besoins de son ambassade en Belgique, est licencié pour motif grave le 28 novembre 2019.

Le 26 novembre 2020, l’avocat du travailleur envoie à l’ambassade une lettre de mise en demeure dans laquelle il réclame une indemnité compensatoire de préavis.

Le travailleur introduit finalement la procédure judiciaire le 26 novembre 2021, soit presque deux ans après le licenciement et presqu’un an après l’envoi de la mise en demeure.

  • Quel est le délai de prescription en matière de contrat de travail ?

En vertu de l’article 15 de la loi sur les contrats de travail, les actions naissant du contrat sont prescrites un an après la cessation de celui-ci (ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l’action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat).

En l’espèce, le délai de prescription avait pris cours le 28 novembre 2019 (date de résiliation du contrat notifiée par l’employeur).

Le travailleur avait donc normalement jusqu’au 28 novembre 2020, soit un an après la fin de son contrat de travail, pour introduire son action en justice (délai d’un an après la cessation du contrat).

Sous cet angle, l’action du travailleur, seulement introduite le 26 novembre 2021, devait donc être considérée comme étant prescrite.

  • Est-ce que le délai de prescription peut être interrompu par l’envoi d’une mise en demeure ?

Conformément à l’article 2444 § 2 du Code civil, il est possible d’interrompre le délai de prescription par l’envoi d’une simple lettre de mise en demeure.

L’interruption de la prescription a pour effet de faire courir un nouveau délai de prescription d’un an et ainsi de repousser le délai dans lequel la procédure judiciaire doit être introduite.

Si le délai de prescription prévu par la loi est inférieur à un an, la durée de la prorogation est identique à celle du délai de prescription. Par ailleurs, la lettre de mise en demeure ne peut interrompre la prescription qu’une seule fois.

Les avocats utilisent souvent ce mécanisme pour donner tout le temps nécessaire à la négociation en vue de parvenir à un règlement amiable du litige et ainsi éviter de devoir introduire une procédure judiciaire, souvent coûteuse pour leurs clients.

En l’espèce, outre la sommation de payer qu’elle contenait, la mise en demeure du 26 novembre 2020 de l’avocat du travailleur, envoyée juste avant l’expiration du délai de prescription d’un an, avait donc également pour but d’interrompre ce délai.

  • À quelles conditions une lettre de mise en demeure peut-elle interrompre le délai de prescription ?

La lettre interruptive de prescription est assortie de conditions strictes (et interprétées strictement par la jurisprudence).

Elle doit être impérativement envoyée :

  • par l’intermédiaire d’un avocat, d’un huissier de justice ou d’une personne disposant du droit d’agir en justice pour le compte du créancier (par exemple le syndicat d’un travailleur salarié),
  • par recommandé avec accusé de réception.

Les destinataires de la lettre doivent impérativement disposer d’un siège social en Belgique (pour les personnes morales), d’un domicile ou d’une résidence habituelle (pour les personnes physiques) sur le territoire du Royaume.

L’expéditeur doit s’assurer des coordonnées exactes du débiteur par un document administratif datant de moins d’un mois. En cas de résidence connue du débiteur différente de son domicile, l’expéditeur doit adresser une copie de son envoi recommandé à cette résidence.

Enfin, la mise en demeure doit contenir de façon complète et explicite différentes mentions visées à l’article 2244 du Code civil soit:

  •  Les coordonnées du créancier : s’il s’agit d’une personne physique, le nom, le prénom et l’adresse du domicile ou, le cas échéant, de la résidence ou du domicile élu conformément aux articles 36 et 39 du Code judiciaire; s’il s’agit d’une personne morale, la forme juridique, la raison sociale et l’adresse du siège social ou, le cas échéant, du siège administratif conformément à l’article 35 du Code judiciaire;
  •  Les coordonnées du débiteur : s’il s’agit d’une personne physique, le nom, le prénom et l’adresse du domicile ou, le cas échéant, de la résidence ou du domicile élu conformément aux articles 36 et 39 du Code judiciaire; s’il s’agit d’une personne morale, la forme juridique, la raison sociale et l’adresse du siège social ou, le cas échéant, du siège administratif conformément à l’article 35 du Code judiciaire;
  • La description de l’obligation qui a fait naître la créance;
  •  Si la créance porte sur une somme d’argent, la justification de tous les montants réclamés au débiteur, y compris les dommages et intérêts et les intérêts de retard;
  •  Le délai dans lequel le débiteur peut s’acquitter de son obligation avant que des mesures supplémentaires de recouvrement puissent être prises;
  •  La possibilité d’agir en justice pour mettre en oeuvre d’autres mesures de recouvrement en cas d’absence de réaction du débiteur dans le délai fixé;
  •  Le caractère interruptif de la prescription provoqué par cette mise en demeure;
  •  La signature de l’avocat du créancier, de l’huissier de justice désigné à cette fin par le créancier ou de la personne pouvant ester en justice au nom du créancier en vertu de l’article 728, § 3, du Code judiciaire.
  • Est-ce qu’en l’espèce la lettre de mise en demeure de l’avocat du travailleur a eu pour effet d’interrompre le délai de prescription ?

Par jugement du 29 novembre 2022 (inédit RG 22/693/A), le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a jugé que la condition visée à l’article 2444 § 2 du Code civil selon laquelle la personne morale débitrice de l’obligation doit avoir son siège social en Belgique n’est pas remplie lors de l’envoi d’une mise en demeure à l’ambassade d’un État étranger située en Belgique.

En effet, si la mission diplomatique de l’État étranger en Belgique peut être qualifiée de « siège administratif » auquel une lettre de mise en demeure peut être adressée, l’existence du siège social en Belgique fait incontestablement défaut dans le chef de l’État étranger.

L’action du travailleur a donc été déclarée prescrite au motif que la lettre de mise en demeure du 26 novembre 2020 n’avait pu avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription.

  • Conclusion

Lorsque vous souhaitez repousser le délai de prescription d’une action en justice, vous pouvez demander à votre avocat ou à votre huissier d’envoyer une lettre de mise en demeure à la partie avec laquelle vous êtes en conflit.

L’envoi de cette lettre vous permettra, en principe, de disposer d’un nouveau délai d’un an, et donc d’une bouée d’oxygène, pour introduire votre action.

Dans cette hypothèse, il conviendra toutefois d’être particulièrement attentif au respect des conditions strictes posées par l’article 2444 § 2 du Code civil.

À titre d’exemple, il ne sera pas possible d’interrompre le délai de prescription si votre débiteur ne dispose pas, en Belgique, d’un siège social, d’un domicile ou d’une résidence.

L’article 1412 quinquies du Code judiciaire : l’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale

Il y a près de cinq ans le législateur belge insérait dans le Code judiciaire un article 1412 quinquies organisant un régime spécifique d’insaisissabilité des biens qui, situés en Belgique, appartiennent à un État étranger ou à une organisation internationale.

Il nous a paru pertinent de faire le point, de manière synthétique, sur le régime particulier organisé par l’article 1412 quinquies du Code judiciaire* (pour une analyse détaillée de cette disposition, voir l’excellent article de F. DOPAGNE, “L’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale : notes sur l’article 1412quinquies du Code judiciaire”, J.T., 23 janvier 2016, n°6632 pp. 57-64).

I. La primauté du droit international

Tout d’abord, il convient d’insister sur le caractère supplétif de l’article 1412 quinquies du Code judiciaire, principe élémentaire rappelé par le texte lui-même, lequel ne s’applique que « sous réserve de l’application des dispositions impératives supranationales et internationales ».

Les traités et le droit international coutumier ont donc naturellement vocation à primer la disposition commentée.

II. Les mesures prohibées

Bien que l’article 1412 quinquies du Code judiciaire ne le prévoit pas expressément, le texte vise non seulement les saisies conservatoires mais également les saisies exécution.

En revanche,  il ne concerne ni les saisies effectuées par une personne qui n’est pas créancière (on peut penser aux saisies pénales pratiquées par un juge d’instruction) ni les mesures de contraintes autres que les saisies ayant des effets analogues (l’expropriation ou le gel des avoirs).

De telles saisies ou mesures de contrainte restent normalement prohibées au titre de l’immunité d’exécution consacrée en droit international public.

III. Les biens protégés

Seuls sont concernés les biens dont l’État ou l’organisation internationale est propriétaire (par opposition aux biens « simplement » possédés ou détenus par l’État).

Bien que le législateur utilise le terme de « puissance étrangère », c’est l’État qui est visé y compris s’il n’est pas reconnu par la Belgique (F. Dopagne, L’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale : notes sur l’article 1412quinquies du Code judiciaire, op. cit., p 59).

Cette immunité s’étend également aux biens appartenant aux entités para-étatiques (entités fédérés, collectivités territoriales etc.), c’est-à-dire, en clair, à l’ensemble des personnes morales de droit public étranger.

Conformément à la coutume internationale et à l’article 19 c de la Convention des Nations-Unies de 2004 (qui n’est pas encore en vigueur), l’immunité consacrée par l’article 1412quinquies ne s’applique pas s’il est établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés « (…) autrement qu’à des fins de service public non commerciales » (principe de l’immunité restreinte).

De plus, le bien n’est saisissable que si, tout en étant affecté à des fins non souveraines, il possède de surcroît « un lien avec l’entité visée par le titre exécutoire ou le titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie ». Le législateur a ainsi voulu éviter que le créancier ne puisse saisir un bien appartenant à une autre personne morale de droit public étranger que celle concernée par la dette, et ce peu importe le pouvoir de tutelle ou de contrôle que peut exercer le seconde sur la première.

Enfin, concernant les biens des organisations internationales, le principe de l’immunité restreinte a été retenue (biens utilisés à d’autres fins que celles de « service public non commerciales ») en contradiction avec les accords de siège prévoyant la plupart du temps une immunité d’exécution absolue. Le cas échéant, ces accords doivent donc primer sur l’article 1412 quinquies du Code judiciaire par application du principe de supériorité du droit international directement applicable sur le droit interne.

IV. Les trois possibilités de saisies autorisées par l’article 1412 quinquies

Pour toute saisie contre un État étranger, le créancier doit solliciter l’autorisation préalable du juge des saisies. Ce faisant, la disposition commentée renforce indiscutablement la protection à l’égard de l’État étranger, le créancier ne pouvant plus d’initiative pratiquer une saisie sans y avoir été préalablement autorisé par le juge des saisies, quand bien même il disposerait d’un titre exécutoire ou privé lui permettant de effectuer une saisie en droit commun.

Le juge doit donc vérifier systématiquement si la demande de saisie peut s’appuyer sur l’une des trois exceptions visée à l’article 1412 quinquies du Code judiciaire (d’abord dans le cadre d’un débat unilatéral et, ensuite, le cas échéant, à l’issue d’un débat contradictoire dans le cas où le débiteur introduit un recours contre l’ordonnance ayant autorisé la saisie ou contre la saisie effectivement pratiquée sur la base d’une telle ordonnance).

Les trois exceptions à l’immunité d’exécution recoupent les hypothèses suivantes :

  • l’État a « réservé ou affecté [l]es biens [en cause] à la satisfaction de la demande qui fait l’objet du titre exécutoire ou du titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie » ; le créancier doit donc préalablement s’assurer de la réalité d’une telle démarche de l’État et être en mesure d’en apporter la preuve;
  • Les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés « (…) autrement qu’à des fins de service public non commerciales, et qui ont un lien avec l’entité visée par le titre fondant la saisie » (nous renvoyons à nos explications supra);
  • L’État dont le créancier établit qu’il a « expressément et spécifiquement consenti à la saisissabilité » du bien concerné (§ 2, 1o) ; une clause générale de renonciation à l’immunité d’exécution dans un contrat n’est donc pas valable, la renonciation devant viser un bien déterminé ou une catégorie particulière de biens.

V. Conclusion

On le voit, le contentieux des saisies dirigées contre l’État ou d’autres personnes morales de droit public étranger peut s’avérer complexe.

Sur plusieurs points, le régime organisé par l’article 1412 quinquies du Code judiciaire reflète la coutume internationale et les traités existants tandis que, sur d’autres, il semble s’en écarter.

En vertu de la disposition commentée, le créancier ne peut donc pas d’initiative, prendre la décision de saisir les biens d’un État sur la base d’un titre qui lui permettrait, en droit commun, de pratiquer une saisie sur les biens de son débiteur.

Il doit en effet obtenir une autorisation préalable et spéciale du juge des saisies écartant, au cas d’espèce et à l’occasion d’un premier examen du dossier, l’immunité d’exécution de l’État étranger.

Ainsi, dans l’hypothèse où un créancier pratiquerait, en méconnaissance de la disposition commentée, une saisie contre un État étranger sans y avoir été préalablement autorisé par le juge des saisies, le créancier saisissant s’exposerait au risque de condamnation à des dommages et intérêts sur la base de l’article 1382 du Code civil sans préjudice d’un éventuel recours en responsabilité contre son huissier qui aurait normalement dû refuser d’effectuer la saisie.

 


*1 § 1er. Sous réserve de l’application des dispositions impératives supranationales et internationales, les biens appartenant à une puissance étrangère qui se trouvent sur le territoire du Royaume, y compris les comptes bancaires qui y sont détenus ou gérés par cette puissance étrangère, notamment dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de la puissance étrangère ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales, sont insaisissables.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, le créancier muni d’un titre exécutoire ou d’un titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie, peut introduire une requête auprès du juge des saisies afin de demander l’autorisation de saisir les avoirs d’une puissance étrangère visés au paragraphe 1er à condition qu’il démontre qu’une des conditions suivantes est remplie:
– 1° si la puissance étrangère a expressément et spécifiquement consenti à la saisissabilité de ce bien;
– 2° si la puissance étrangère a réservé ou affecté ces biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet du titre exécutoire ou du titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie;
– 3° s’il a été établi que ces biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par la puissance étrangère autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire du Royaume, à condition que la saisie ne porte que sur des biens qui ont un lien avec l’entité visée par le titre exécutoire ou le titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie.
§ 3. L’immunité visée au paragraphe 1er et les exceptions à cette immunité visées au paragraphe 2 s’appliquent également aux biens visés dans ces paragraphes s’ils n’appartiennent pas à la puissance étrangère même, mais bien à une entité fédérée de cette puissance étrangère, même si cette entité ne dispose pas de la personnalité juridique internationale, à un démembrement de cette puissance étrangère au sens de l’article 1412ter, § 3, alinéa 2, ou à une collectivité territoriale décentralisée ou toute autre division politique de cette puissance étrangère.
L’immunité visée au paragraphe 1er et les exceptions à cette immunité visées au paragraphe 2 s’appliquent également aux biens visés dans ces paragraphes s’ils n’appartiennent pas à une puissance étrangère, mais bien à une organisation supranationale ou internationale de droit public qui les utilise ou les destine à une utilisation à des fins analogues à des fins de service public non commerciales.”