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Nouvel Arrêt CJUE : Clarification des Règles de Compétence en Droit de la Consommation

Introduction

Un arrêt récent C-774/22 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 29 juillet 2024 vient de préciser la portée des règles de compétence en droit de la consommation, telles qu’établies par le Règlement (UE) no 1215/2012 (le « Règlement Bruxelles Ibis » ou « le Règlement »).

Cet arrêt apporte un éclairage crucial sur l’application de ces règles, renforçant ainsi la protection des consommateurs dans le cadre des litiges transfrontaliers

Le Règlement Ibis établit des règles uniformes pour déterminer la compétence des tribunaux dans les litiges civils et commerciaux au sein de l’Union européenne.

Son objectif principal est de garantir une protection juridique prévisible et équitable pour les justiciables, et notamment pour les consommateurs, dans les affaires transfrontalières.

Les dispositions du Règlement Bruxelles I (section 4  articles 17 à 19) permettent en effet aux consommateurs protégés (article 17) d’intenter une action (i) soit devant les tribunaux de l’État membre où l’entreprise est domiciliée, (ii) soit devant les tribunaux de leur propre lieu de domicile (article 18.1).

En revanche, une entreprise ne peut poursuivre un consommateur que devant les tribunaux du lieu où celui-ci est domicilié (article 18.2).

Il ne peut être dérogé à ces règles qu’à des conditions strictes (article 19).

Ces dispositions assurent que les consommateurs ne soient pas contraints de se défendre devant des juridictions éloignées, leur offrant ainsi un accès plus facile à la justice.

Le droit allemand et l’interêt pratique du consommateur de se prévaloir du Règlement Bruxelles Ibis

Le 15 décembre 2021, JX, un particulier domicilié à Nuremberg, a réservé un voyage à forfait auprès de FTI Touristik, un organisateur de voyages basé à Munich.

Cette réservation a été effectuée via une agence de voyages à Nuremberg, qui n’est pas affiliée directement à FTI Touristik. JX, estimant ne pas avoir été correctement informé des conditions d’entrée et des visas nécessaires pour son voyage à l’étranger, a intenté une action en justice devant le tribunal de Nuremberg, réclamant 1 499,86 euros de dommages et intérêts. Il a invoqué les articles 17 et 18 du Règlement Bruxelles Ibis pour justifier la compétence territoriale de ce tribunal.

Les règles de compétence du droit allemand (ZPO) prévoient généralement que les actions doivent être intentées devant le tribunal du lieu où l’entreprise défenderesse est domiciliée.

Ce principe s’applique même si le demandeur est un consommateur.

Il existe toutefois des exceptions pour les litiges liés à des succursales ou à l’exécution du contrat, mais celles-ci ne s’appliquaient pas dans l’affaire qui a été portée devant la Cour.

Pour le consommateur, il était donc essentiel de pouvoir appliquer le Règlement Bruxelles Ibis, qui lui accordait le droit de saisir les juridictions de son lieu de domicile (Nuremberg).

Ce règlement lui offrait ainsi un accès facilité à la justice, contrairement à l’application du droit allemand, qui l’obligeait à saisir les juridictions du siège de l’entreprise (Munich), éloignées de son domicile.

Questions posées à la CJUE

En substance, les questions auxquelles la Cour a dû répondre dans son arrêt du 29 juillet 2024, sont les suivantes:

  • Le Règlement Bruxelles Ibis s’applique-t-il lorsque l’entreprise et le consommateur sont domiciliés dans le même État membre ? Autrement dit, un élément d’extranéité autre que le domicile des parties peut-il justifier l’application du Règlement Bruxelles Ibis, ou bien le juge national doit-il toujours, dans cette hypothèse, écarter l’application dudit règlement et se référer aux règles de compétence de son droit national ?
  • Si le Règlement Bruxelles Ibis s’applique, les règles protectrices qu’il prévoit déterminent-elles uniquement la compétence internationale des tribunaux des États membres ou ont-elles également vocation à régir la compétence territoriale interne de ces tribunaux, ce qui peut avoir des conséquences pratiques importantes dans des pays européens au vaste territoire, comme l’Allemagne ou la France ?

Réponse de la CJUE

  1. Le champ d’application territorial du Règlement : le domicile des parties mais pas que !

L’arrêt C-774/22 de la CJUE met en lumière un point crucial : même si un litige semble purement interne dans la mesure où les deux parties sont domiciliées dans le même État membre, un autre élément d’extranéité que le domicile peut être présent et emporter l’application du Règlement Bruxelles Ibis.

Tel était le cas en l’espèce, car la destination du voyage vendu par le professionnel du tourisme au consommateur se trouvait dans un pays étranger. Or, selon la Cour, ce fait peut être un élément d’extranéité suffisant pour déclencher l’application du Règlement Bruxelles Ibis.

Cette règle s’applique particulièrement dans des secteurs transfrontaliers comme le tourisme.

Les professionnels doivent être conscients que, même lorsque les parties en litige sont domiciliées dans un même État membre, un litige peut relever du règlement européen, les obligeant à répondre devant une juridiction éloignée de leur siège social.

  1. L’étendue de la compétence du juge du domicile du consommateur

L’article 18 alinéa 2 du Règlement Bruxelles Ibis fixe non seulement la compétence internationale, mais aussi la compétence territoriale interne, en conférant un pouvoir de juridiction au tribunal du lieu où, à l’intérieur des frontières de cet État membre, le consommateur est domicilié.

Dans des pays vastes comme l’Allemagne ou la France, cela signifie que les professionnels peuvent être assignés devant des tribunaux situés à l’autre bout du pays, loin de leur siège social.

Pour les entreprises, cela représente un risque juridique et logistique important, nécessitant une vigilance accrue dans les contrats et les informations fournies aux clients pour minimiser les litiges.

L’article 19 du Règlement Bruxelles Ibis prévoit toutefois la possibilité pour les professionnels de limiter ce risque dans certaines situations.

Ainsi, le professionnel pourrait inclure dans ses conditions générales une clause désignant les tribunaux de son siège social comme compétents pour résoudre tout différend, ce qui lui permet de contrôler le lieu où un éventuel litige sera traité, évitant ainsi les surprises liées à l’application automatique des règles de compétence favorables au consommateur.

Cependant, une telle clause ne sera valable que si, d’une part, les parties résident, au moment de la conclusion du contrat, dans le même pays, et si, d’autre part, la législation de l’État membre concerné autorise ce type de convention (article 19.3 du Règlement Bruxelles Ibis).

 Conclusion

L’arrêt C-774/22 de la CJUE est un rappel important de l’impact potentiel des règles de compétence internationales dans les litiges touchant au droit de la consommation, y compris au sein d’un même État membre.

Les professionnels devraient intégrer ces implications dans leur stratégie juridique pour éviter des complications et des coûts imprévus.

L'auteur

Jonathan TORO

Jonathan TORO exerce en tant qu'avocat au Barreau de Bruxelles depuis 2005. Ayant acquis de nombreuses années d'expérience au sein d'un important cabinet juridique belge, Jonathan accompagne un grand nombre d'entreprises en matière de droit des sociétés, droit commercial, droit du travail et droit de l'immobilier, aussi bien sur le plan national qu'international

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