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L’article 1412 quinquies du Code judiciaire : l’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale

Il y a près de cinq ans le législateur belge insérait dans le Code judiciaire un article 1412 quinquies organisant un régime spécifique d’insaisissabilité des biens qui, situés en Belgique, appartiennent à un État étranger ou à une organisation internationale.

Il nous a paru pertinent de faire le point, de manière synthétique, sur le régime particulier organisé par l’article 1412 quinquies du Code judiciaire* (pour une analyse détaillée de cette disposition, voir l’excellent article de F. DOPAGNE, “L’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale : notes sur l’article 1412quinquies du Code judiciaire”, J.T., 23 janvier 2016, n°6632 pp. 57-64).

I. La primauté du droit international

Tout d’abord, il convient d’insister sur le caractère supplétif de l’article 1412 quinquies du Code judiciaire, principe élémentaire rappelé par le texte lui-même, lequel ne s’applique que « sous réserve de l’application des dispositions impératives supranationales et internationales ».

Les traités et le droit international coutumier ont donc naturellement vocation à primer la disposition commentée.

II. Les mesures prohibées

Bien que l’article 1412 quinquies du Code judiciaire ne le prévoit pas expressément, le texte vise non seulement les saisies conservatoires mais également les saisies exécution.

En revanche,  il ne concerne ni les saisies effectuées par une personne qui n’est pas créancière (on peut penser aux saisies pénales pratiquées par un juge d’instruction) ni les mesures de contraintes autres que les saisies ayant des effets analogues (l’expropriation ou le gel des avoirs).

De telles saisies ou mesures de contrainte restent normalement prohibées au titre de l’immunité d’exécution consacrée en droit international public.

III. Les biens protégés

Seuls sont concernés les biens dont l’État ou l’organisation internationale est propriétaire (par opposition aux biens « simplement » possédés ou détenus par l’État).

Bien que le législateur utilise le terme de « puissance étrangère », c’est l’État qui est visé y compris s’il n’est pas reconnu par la Belgique (F. Dopagne, L’immunité de saisie des biens de l’État étranger et de l’organisation internationale : notes sur l’article 1412quinquies du Code judiciaire, op. cit., p 59).

Cette immunité s’étend également aux biens appartenant aux entités para-étatiques (entités fédérés, collectivités territoriales etc.), c’est-à-dire, en clair, à l’ensemble des personnes morales de droit public étranger.

Conformément à la coutume internationale et à l’article 19 c de la Convention des Nations-Unies de 2004 (qui n’est pas encore en vigueur), l’immunité consacrée par l’article 1412quinquies ne s’applique pas s’il est établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés « (…) autrement qu’à des fins de service public non commerciales » (principe de l’immunité restreinte).

De plus, le bien n’est saisissable que si, tout en étant affecté à des fins non souveraines, il possède de surcroît « un lien avec l’entité visée par le titre exécutoire ou le titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie ». Le législateur a ainsi voulu éviter que le créancier ne puisse saisir un bien appartenant à une autre personne morale de droit public étranger que celle concernée par la dette, et ce peu importe le pouvoir de tutelle ou de contrôle que peut exercer le seconde sur la première.

Enfin, concernant les biens des organisations internationales, le principe de l’immunité restreinte a été retenue (biens utilisés à d’autres fins que celles de « service public non commerciales ») en contradiction avec les accords de siège prévoyant la plupart du temps une immunité d’exécution absolue. Le cas échéant, ces accords doivent donc primer sur l’article 1412 quinquies du Code judiciaire par application du principe de supériorité du droit international directement applicable sur le droit interne.

IV. Les trois possibilités de saisies autorisées par l’article 1412 quinquies

Pour toute saisie contre un État étranger, le créancier doit solliciter l’autorisation préalable du juge des saisies. Ce faisant, la disposition commentée renforce indiscutablement la protection à l’égard de l’État étranger, le créancier ne pouvant plus d’initiative pratiquer une saisie sans y avoir été préalablement autorisé par le juge des saisies, quand bien même il disposerait d’un titre exécutoire ou privé lui permettant de effectuer une saisie en droit commun.

Le juge doit donc vérifier systématiquement si la demande de saisie peut s’appuyer sur l’une des trois exceptions visée à l’article 1412 quinquies du Code judiciaire (d’abord dans le cadre d’un débat unilatéral et, ensuite, le cas échéant, à l’issue d’un débat contradictoire dans le cas où le débiteur introduit un recours contre l’ordonnance ayant autorisé la saisie ou contre la saisie effectivement pratiquée sur la base d’une telle ordonnance).

Les trois exceptions à l’immunité d’exécution recoupent les hypothèses suivantes :

  • l’État a « réservé ou affecté [l]es biens [en cause] à la satisfaction de la demande qui fait l’objet du titre exécutoire ou du titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie » ; le créancier doit donc préalablement s’assurer de la réalité d’une telle démarche de l’État et être en mesure d’en apporter la preuve;
  • Les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés « (…) autrement qu’à des fins de service public non commerciales, et qui ont un lien avec l’entité visée par le titre fondant la saisie » (nous renvoyons à nos explications supra);
  • L’État dont le créancier établit qu’il a « expressément et spécifiquement consenti à la saisissabilité » du bien concerné (§ 2, 1o) ; une clause générale de renonciation à l’immunité d’exécution dans un contrat n’est donc pas valable, la renonciation devant viser un bien déterminé ou une catégorie particulière de biens.

V. Conclusion

On le voit, le contentieux des saisies dirigées contre l’État ou d’autres personnes morales de droit public étranger peut s’avérer complexe.

Sur plusieurs points, le régime organisé par l’article 1412 quinquies du Code judiciaire reflète la coutume internationale et les traités existants tandis que, sur d’autres, il semble s’en écarter.

En vertu de la disposition commentée, le créancier ne peut donc pas d’initiative, prendre la décision de saisir les biens d’un État sur la base d’un titre qui lui permettrait, en droit commun, de pratiquer une saisie sur les biens de son débiteur.

Il doit en effet obtenir une autorisation préalable et spéciale du juge des saisies écartant, au cas d’espèce et à l’occasion d’un premier examen du dossier, l’immunité d’exécution de l’État étranger.

Ainsi, dans l’hypothèse où un créancier pratiquerait, en méconnaissance de la disposition commentée, une saisie contre un État étranger sans y avoir été préalablement autorisé par le juge des saisies, le créancier saisissant s’exposerait au risque de condamnation à des dommages et intérêts sur la base de l’article 1382 du Code civil sans préjudice d’un éventuel recours en responsabilité contre son huissier qui aurait normalement dû refuser d’effectuer la saisie.

 


*1 § 1er. Sous réserve de l’application des dispositions impératives supranationales et internationales, les biens appartenant à une puissance étrangère qui se trouvent sur le territoire du Royaume, y compris les comptes bancaires qui y sont détenus ou gérés par cette puissance étrangère, notamment dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de la puissance étrangère ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales, sont insaisissables.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, le créancier muni d’un titre exécutoire ou d’un titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie, peut introduire une requête auprès du juge des saisies afin de demander l’autorisation de saisir les avoirs d’une puissance étrangère visés au paragraphe 1er à condition qu’il démontre qu’une des conditions suivantes est remplie:
– 1° si la puissance étrangère a expressément et spécifiquement consenti à la saisissabilité de ce bien;
– 2° si la puissance étrangère a réservé ou affecté ces biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet du titre exécutoire ou du titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie;
– 3° s’il a été établi que ces biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par la puissance étrangère autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire du Royaume, à condition que la saisie ne porte que sur des biens qui ont un lien avec l’entité visée par le titre exécutoire ou le titre authentique ou privé qui, selon le cas, fonde la saisie.
§ 3. L’immunité visée au paragraphe 1er et les exceptions à cette immunité visées au paragraphe 2 s’appliquent également aux biens visés dans ces paragraphes s’ils n’appartiennent pas à la puissance étrangère même, mais bien à une entité fédérée de cette puissance étrangère, même si cette entité ne dispose pas de la personnalité juridique internationale, à un démembrement de cette puissance étrangère au sens de l’article 1412ter, § 3, alinéa 2, ou à une collectivité territoriale décentralisée ou toute autre division politique de cette puissance étrangère.
L’immunité visée au paragraphe 1er et les exceptions à cette immunité visées au paragraphe 2 s’appliquent également aux biens visés dans ces paragraphes s’ils n’appartiennent pas à une puissance étrangère, mais bien à une organisation supranationale ou internationale de droit public qui les utilise ou les destine à une utilisation à des fins analogues à des fins de service public non commerciales.”

L'auteur

Alexandre BAHRAMI

Alexandre BAHRAMI est avocat inscrit au Barreau de Bruxelles depuis 2001. Il est spécialisé en droit diplomatique et représente de nombreux États et missions diplomatiques.

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