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L’interruption de la prescription par l’envoi d’une mise en demeure

Est-ce que l’envoi d’une simple lettre de mise en demeure peut avoir pour effet d’interrompre le délai dans lequel un créancier est censé agir en justice pour récupérer son dû ?

Décryptage à partir d’une décision récente du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 29 novembre 2022 (inédit RG 22/693/A).

  • Les faits

Un travailleur, engagé par un État étranger pour les besoins de son ambassade en Belgique, est licencié pour motif grave le 28 novembre 2019.

Le 26 novembre 2020, l’avocat du travailleur envoie à l’ambassade une lettre de mise en demeure dans laquelle il réclame une indemnité compensatoire de préavis.

Le travailleur introduit finalement la procédure judiciaire le 26 novembre 2021, soit presque deux ans après le licenciement et presqu’un an après l’envoi de la mise en demeure.

  • Quel est le délai de prescription en matière de contrat de travail ?

En vertu de l’article 15 de la loi sur les contrats de travail, les actions naissant du contrat sont prescrites un an après la cessation de celui-ci (ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l’action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat).

En l’espèce, le délai de prescription avait pris cours le 28 novembre 2019 (date de résiliation du contrat notifiée par l’employeur).

Le travailleur avait donc normalement jusqu’au 28 novembre 2020, soit un an après la fin de son contrat de travail, pour introduire son action en justice (délai d’un an après la cessation du contrat).

Sous cet angle, l’action du travailleur, seulement introduite le 26 novembre 2021, devait donc être considérée comme étant prescrite.

  • Est-ce que le délai de prescription peut être interrompu par l’envoi d’une mise en demeure ?

Conformément à l’article 2444 § 2 du Code civil, il est possible d’interrompre le délai de prescription par l’envoi d’une simple lettre de mise en demeure.

L’interruption de la prescription a pour effet de faire courir un nouveau délai de prescription d’un an et ainsi de repousser le délai dans lequel la procédure judiciaire doit être introduite.

Si le délai de prescription prévu par la loi est inférieur à un an, la durée de la prorogation est identique à celle du délai de prescription. Par ailleurs, la lettre de mise en demeure ne peut interrompre la prescription qu’une seule fois.

Les avocats utilisent souvent ce mécanisme pour donner tout le temps nécessaire à la négociation en vue de parvenir à un règlement amiable du litige et ainsi éviter de devoir introduire une procédure judiciaire, souvent coûteuse pour leurs clients.

En l’espèce, outre la sommation de payer qu’elle contenait, la mise en demeure du 26 novembre 2020 de l’avocat du travailleur, envoyée juste avant l’expiration du délai de prescription d’un an, avait donc également pour but d’interrompre ce délai.

  • À quelles conditions une lettre de mise en demeure peut-elle interrompre le délai de prescription ?

La lettre interruptive de prescription est assortie de conditions strictes (et interprétées strictement par la jurisprudence).

Elle doit être impérativement envoyée :

  • par l’intermédiaire d’un avocat, d’un huissier de justice ou d’une personne disposant du droit d’agir en justice pour le compte du créancier (par exemple le syndicat d’un travailleur salarié),
  • par recommandé avec accusé de réception.

Les destinataires de la lettre doivent impérativement disposer d’un siège social en Belgique (pour les personnes morales), d’un domicile ou d’une résidence habituelle (pour les personnes physiques) sur le territoire du Royaume.

L’expéditeur doit s’assurer des coordonnées exactes du débiteur par un document administratif datant de moins d’un mois. En cas de résidence connue du débiteur différente de son domicile, l’expéditeur doit adresser une copie de son envoi recommandé à cette résidence.

Enfin, la mise en demeure doit contenir de façon complète et explicite différentes mentions visées à l’article 2244 du Code civil soit:

  •  Les coordonnées du créancier : s’il s’agit d’une personne physique, le nom, le prénom et l’adresse du domicile ou, le cas échéant, de la résidence ou du domicile élu conformément aux articles 36 et 39 du Code judiciaire; s’il s’agit d’une personne morale, la forme juridique, la raison sociale et l’adresse du siège social ou, le cas échéant, du siège administratif conformément à l’article 35 du Code judiciaire;
  •  Les coordonnées du débiteur : s’il s’agit d’une personne physique, le nom, le prénom et l’adresse du domicile ou, le cas échéant, de la résidence ou du domicile élu conformément aux articles 36 et 39 du Code judiciaire; s’il s’agit d’une personne morale, la forme juridique, la raison sociale et l’adresse du siège social ou, le cas échéant, du siège administratif conformément à l’article 35 du Code judiciaire;
  • La description de l’obligation qui a fait naître la créance;
  •  Si la créance porte sur une somme d’argent, la justification de tous les montants réclamés au débiteur, y compris les dommages et intérêts et les intérêts de retard;
  •  Le délai dans lequel le débiteur peut s’acquitter de son obligation avant que des mesures supplémentaires de recouvrement puissent être prises;
  •  La possibilité d’agir en justice pour mettre en oeuvre d’autres mesures de recouvrement en cas d’absence de réaction du débiteur dans le délai fixé;
  •  Le caractère interruptif de la prescription provoqué par cette mise en demeure;
  •  La signature de l’avocat du créancier, de l’huissier de justice désigné à cette fin par le créancier ou de la personne pouvant ester en justice au nom du créancier en vertu de l’article 728, § 3, du Code judiciaire.
  • Est-ce qu’en l’espèce la lettre de mise en demeure de l’avocat du travailleur a eu pour effet d’interrompre le délai de prescription ?

Par jugement du 29 novembre 2022 (inédit RG 22/693/A), le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a jugé que la condition visée à l’article 2444 § 2 du Code civil selon laquelle la personne morale débitrice de l’obligation doit avoir son siège social en Belgique n’est pas remplie lors de l’envoi d’une mise en demeure à l’ambassade d’un État étranger située en Belgique.

En effet, si la mission diplomatique de l’État étranger en Belgique peut être qualifiée de « siège administratif » auquel une lettre de mise en demeure peut être adressée, l’existence du siège social en Belgique fait incontestablement défaut dans le chef de l’État étranger.

L’action du travailleur a donc été déclarée prescrite au motif que la lettre de mise en demeure du 26 novembre 2020 n’avait pu avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription.

  • Conclusion

Lorsque vous souhaitez repousser le délai de prescription d’une action en justice, vous pouvez demander à votre avocat ou à votre huissier d’envoyer une lettre de mise en demeure à la partie avec laquelle vous êtes en conflit.

L’envoi de cette lettre vous permettra, en principe, de disposer d’un nouveau délai d’un an, et donc d’une bouée d’oxygène, pour introduire votre action.

Dans cette hypothèse, il conviendra toutefois d’être particulièrement attentif au respect des conditions strictes posées par l’article 2444 § 2 du Code civil.

À titre d’exemple, il ne sera pas possible d’interrompre le délai de prescription si votre débiteur ne dispose pas, en Belgique, d’un siège social, d’un domicile ou d’une résidence.

Rencontrez les auteurs

Alexandre BAHRAMI

Alexandre BAHRAMI est avocat inscrit au Barreau de Bruxelles depuis 2001. Il est spécialisé en droit diplomatique et représente de nombreux États et missions diplomatiques.

Jonathan TORO

Jonathan TORO exerce en tant qu'avocat au Barreau de Bruxelles depuis 2005. Ayant acquis de nombreuses années d'expérience au sein d'un important cabinet juridique belge, Jonathan accompagne un grand nombre d'entreprises en matière de droit des sociétés, droit commercial, droit du travail et droit de l'immobilier, aussi bien sur le plan national qu'international

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