Introduction
La négociation d’un contrat est en principe libre : chaque partie peut entamer ou interrompre les discussions. Mais cette liberté n’est pas absolue.
En cas de rupture fautive des pourparlers, la partie responsable engage sa responsabilité précontractuelle et peut devoir indemniser l’autre partie (articles 5.16 et 5.17 du Code civil). Depuis le 1er janvier 2023, le Livre V – Les obligations a renforcé ces sanctions : dans certains cas, la victime peut obtenir une indemnisation équivalente aux bénéfices nets attendus du contrat non conclu.
Les pourparlers : définition & distinctions
Les pourparlers sont les discussions préparatoires à la conclusion d’un contrat (échanges d’emails, réunions, projets de contrat). Ils ne constituent pas encore un contrat.
- Offre ferme : si elle contient les éléments essentiels (objet, prix, etc.) et qu’elle est acceptée, le contrat est formé.
- Accord de principe contraignant : dans certains cas, un « préaccord » suffit à lier juridiquement.
Liberté de négocier et de rompre : un principe encadré
Chaque partie reste libre d’entamer des négociations, de les interrompre ou de refuser de conclure un contrat. Cette liberté est toutefois limitée par :
1) Le principe de bonne foi (art. 5.15 C. civ.)
Interdiction des ruptures brutales, trompeuses ou déloyales.
2) Le devoir d’information précontractuel (art. 5.16 C. civ.)
Obligation de fournir les informations essentielles exigées par la loi, la bonne foi ou les usages, selon la nature du contrat et les attentes légitimes de l’autre partie.
Exemples de ruptures fautives
- Participation à un appel d’offres privé pour obtenir des données sensibles, puis rupture des discussions sans intention réelle de signer.
- Négociations longues avec annonces d’un accord imminent, suivies d’un retrait à la veille de la signature sans motif valable.
- Rupture brutale alors que les termes essentiels étaient arrêtés et que le lancement commercial était préparé.
Dans ces cas, la partie lésée peut réclamer une indemnisation.
L’indemnisation possible
a) Intérêt négatif (classique)
- Frais de conseil (avocats, experts, due diligence)
- Temps et ressources mobilisés
- Opportunités manquées de conclure avec un tiers
b) Intérêt positif (nouveauté art. 5.17)
Dans certains cas, la victime peut réclamer les bénéfices nets attendus du contrat non signé.
Conditions (appréciées par le juge) : négociations très avancées, confiance légitime créée par la partie fautive, lien de causalité direct avec la rupture. Le juge peut limiter l’indemnité.
Exemples chiffrés de bénéfices nets attendus
- Start-up SaaS : contrat de 240 000 € sur 3 ans, coûts 90 000 € → bénéfice net attendu : 150 000 €.
- Agence marketing : contrat-cadre de 50 000 €, coûts 35 000 € → bénéfice net attendu : 15 000 €.
- Distribution : CA prévu 1 000 000 €, coûts 800 000 € → bénéfice net attendu : 200 000 €.
Limites pratiques & incertitudes
- L’indemnisation vise à compenser, non à enrichir : les coûts d’exécution sont déduits.
- Si le prix convenu = valeur de marché, l’indemnité des bénéfices nets peut être limitée.
- La jurisprudence sur l’art. 5.17 est encore récente ; les critères se précisent au fil des décisions.
Conseils pratiques pour entrepreneurs & dirigeants
- Trace écrite : conservez emails, projets, comptes rendus.
- Clauses de non-engagement : préciser que « les discussions n’engagent pas les parties tant que le contrat n’est pas signé ».
- Communication prudente : éviter de suggérer une certitude si des points clés restent ouverts.
- Clause spécifique : prévoir contractuellement l’étendue du dommage réparable en cas de rupture des pourparlers.
Information générale – ne constitue pas un conseil juridique. Pour une analyse adaptée à votre situation, contactez le cabinet.
