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Responsabilité suite à la rupture fautive des négociations : comment se protéger juridiquement

 

  • Introduction

Si des négociations sont rompues de manière brutale et fautive avant de signer un contrat, des sanctions peuvent être appliquées. La partie responsable doit payer une indemnité à l’autre pour couvrir les pertes et frais liés aux négociations.

Depuis l’article 5.17 du nouveau code civil, ces sanctions sont plus lourdes et peuvent inclure la perte des bénéfices nets attendus du contrat non signé. Cet article s’applique aux contrats conclus après le 1er janvier 2023.

  • Notion de « pourparlers précontractuels »

Les premiers échanges avec un éventuel partenaire contractuel qui précèdent la signature du contrat sont appelés des « pourparlers » et ont pour objectif de permettre aux parties d’examiner la possibilité de conclusion d’un contrat et d’échanger leurs points de vue sur les obligations futures qui découleront du contrat.

  1. Ne pas confondre avec un contrat

    Le but des pourparlers n’est donc pas de former le contrat en tant que tel, mais ils permettent aux parties d’explorer la possibilité de s’engager dans la conclusion d’un contrat et donc de débuter les négociations contractuelles. Ces pourparlers ne constituent dès lors pas (encore) un contrat.

  2. Ne pas confondre avec une offre de contracter

    La notion de pourparlers qui précèdent la conclusion d’un contrat ne doit pas être confondue avec la notion d’offre.

    Si une offre présente des éléments essentiels du contrat (objet de la vente, prix auquel ledit objet sera vendu, etc.) et que cette dernière est acceptée, l’acceptation de l’offre vaudra conclusion du contrat. Les règles juridiques en matière de contrats s’appliqueront alors et les parties seront à l’évidence liées par les obligations qui découlent de l’offre.

  • Principe : pas d’effet contraignant

Les parties ne sont pas liées par les échanges précédant la conclusion du contrat et n’ont pas d’obligation à cet égard, sous réserve de certaines exceptions où le droit reconnaît tout de même l’existence d’une responsabilité précontractuelle.

Chaque partie est donc libre d’entamer et de rompre des négociations pendant la phase précontractuelle.

  • Exceptions au principe : la bonne foi et le devoir d’information

  1. La bonne foi

    Cette liberté d’entamer et de rompre des négociations est soumise au principe de bonne foi qui interdit notamment les ruptures fautives de pourparlers.

    Exemples :

    • Il y a rupture fautive des négociations si l’une des parties n’a pas l’intention de conclure le contrat mais laisse croire à l’autre partie, pendant la durée des négociations, qu’il y a une possibilité de conclusion du contrat. Dans ce cas, la rupture sera considérée comme abusive car elle aurait dû avoir lieu immédiatement et l’autre partie aura inutilement consacré du temps et des moyens financiers en vue de la conclusion d’un contrat qui n’allait de toute évidence pas avoir lieu.
    • Si l’une des parties rompt brusquement les négociations sans justification raisonnable, la rupture sera considérée comme abusive si elle a lieu à un moment où la négociation se trouve dans un stade très avancé et que le contrat est sur le point d’être conclu.

    Dans de tels cas, l’une des parties pourrait engager sa responsabilité pour les dommages causés par la rupture fautive (temps perdu du fait des négociations, occasions manquées de conclure un contrat avec un tiers, frais exposés dans le cadre des négociations etc.).

  2. L’obligation d’information

    Pendant la période précontractuelle, les parties sont tenues, conformément à l’article 5.16 du code civil, de se fournir les informations que la loi, la bonne foi et les usages leur imposent de donner, eu égard à leurs qualités respectives, à leurs attentes raisonnables et à l’objet du contrat.

    Une partie pourrait ainsi engager sa responsabilité du chef d’une rétention d’informations commise pendant la phase précontractuelle et être, à ce titre, redevable de dommages et intérêts vis-à-vis de son cocontractant. Si les informations nécessaires n’ont pas été transmises pendant la phase précontractuelle, la nullité du contrat conclu pourrait également être prononcée si la rétention d’information a vicié le consentement d’une des parties au contrat (article 5.33 du code civil).

  • L’indemnisation des bénéfices nets en cas de confiance légitime en la conclusion du contrat

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code civil, l’article 5.17 prévoit que si la partie lésée avait une confiance légitime que le contrat serait conclu, la rupture des négociations est non seulement considérée comme fautive mais peut donner lieu à une indemnisation totale des bénéfices nets attendus de la conclusion du contrat (article 5.17).

Du montant total de cette indemnisation seront déduits les coûts que la victime aurait elle-même engagé pour exécuter le contrat.

Exemple : Si l’acheteur rompt de manière fautive les négociations visant à la conclusion d’un contrat de vente, ce dernier pourrait être condamné à payer le prix du bien sans l’acquérir.

Cette somme dépensée par l’acheteur ne viserait alors pas à acquérir le bien. Elle constituerait plutôt une compensation pour le temps perdu et le manque à gagner subi par le vendeur du fait des négociations. Cette nouvelle indemnisation permet à la partie lésée de se retrouver dans la situation dans laquelle elle aurait été si le contrat avait été conclu et exécuté à la suite des négociations.

Dans un tel cas, il faut établir l’existence de trois éléments pour pouvoir déterminer la faute :

  • Une situation apparemment certaine que le contrat serait conclu
  • La croyance légitime de la partie lésée en la conclusion future du contrat
  • Un comportement de la partie ayant rompu les négociations ayant généré la situation d’apparence certaine et de croyance légitime dans le chef de la partie lésée

Il n’est pas nécessaire que le comportement ayant généré une telle croyance soit fautif. Un comportement non fautif peut tout de même mener à l’indemnisation prévue par l’article 5.17 dans ce cas.

Enfin, l’article 5.17 est libellé en ce sens que le législateur semble avoir voulu laisser au juge un certain pouvoir d’appréciation. Ce dernier ne serait donc pas systématiquement tenu d’accorder à la partie lésée l’ensemble des bénéfices nets attendus de la conclusion du contrat. Il sera intéressant d’examiner la jurisprudence dans les années à venir afin de vérifier les critères qui seront fixés par les juges pour accorder une indemnisation totale ou simplement partielle à la partie lésée.

  • Constatation du dommage

La preuve d’une des fautes précontractuelles présentées ci-dessus ne suffit pas à engager la responsabilité d’une des parties.

Il faut pour cela que le dommage causé à l’autre partie résulte clairement de la faute en question. Pour ce faire, il faut notamment pouvoir établir que le préjudice ne se serait pas produit si la faute n’avait pas eu lieu.

  • Incidences de la phase précontractuelle sur les éventuels litiges futurs

En plus de risquer d’engager la responsabilité des parties pour les fautes présentées ci-dessus, la phase précontractuelle peut également être déterminante pour l’issue de litiges futurs. Le contenu des pourparlers pourra alors servir à interpréter le contrat si ce dernier n’est pas suffisamment précis.

Exemple : Si un document précontractuel indique qu’un des co-contractants fournit des produits de première qualité à bas prix mais que les produits effectivement livrés sont de piètre qualité et à prix très élevé, l’obligation de livraison retenue par le juge sera celle décrite dans le document précontractuel.

  • Conseils

Afin d’échapper à une responsabilité précontractuelle liée à une rupture des négociations, voici quelques conseils :

  1. Veillez à transmettre toutes les informations utiles à vos interlocuteurs pendant la phase de négociations.
  2. Ne rompez pas les négociations à un moment où celles-ci sont déjà très avancées sans une justification raisonnable.
  3. Le cas échéant, veillez à définir contractuellement le dommage réparable en cas de rupture abusive des négociations (pour ne pas devoir indemniser la totalité des bénéfices nets attendus du contrat).

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Jonathan TORO

Jonathan TORO exerce en tant qu'avocat au Barreau de Bruxelles depuis 2005. Ayant acquis de nombreuses années d'expérience au sein d'un important cabinet juridique belge, Jonathan accompagne un grand nombre d'entreprises en matière de droit des sociétés, droit commercial, droit du travail et droit de l'immobilier, aussi bien sur le plan national qu'international

Maroua ALEKMA

Maroua ALEKMA a suivi un cursus universitaire pluridisciplinaire fortement axé sur le droit des affaires. Elle est titulaire d'un master en droit international obtenu à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et d'un master en droit de l'Union Européenne délivré par l'Université de Lorraine (Nancy). Maroua a enrichi la communauté S-Team de son expertise et de son enthousiasme.

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